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 III 

A son entrée sur scène, la princesse Béati’bo contemple l’étendue de la plage.
En balade, pieds nus, elle arrive du village pour changer d’air et se requinquer.
Elle trouve sa place auprès d’un gommier de couleurs échoué sous un cocotier. 1

Allongée à même le sable, la lumière de la fin de journée l’illuminant d’or couchant,
elle sommeille avec les yeux quelquefois entr’ouverts sur le crépuscule en mer.


Harmonie bien paisible du chœur de l’eau déroulée en vagues inlassablement lavées.


Un couple d’oiseaux, noir et blanc, parcourt le rivage, de long en large,
ils volent ou vont sur le sol, pas du tout farouches autour de la jeune fille.
D’autres volatiles chantent et des fleurs parachutes s’échouent près de sa tête.


Son visage, face au ciel du soir, rayonne d’une sensuelle sérénité.
Ses paupières légèrement fermées voilent le trésor irisé de son regard.
Bouche bisou que nul mot ne vient déformer, bien au contraire, si belle.
Une longue tresse de cheveux entrelacés s’attarde même au bord de ses lèvres.


Volupté des sens parfumée à la chair brune de sa peau d’île.
Sa robe bleu ciel dessine une silhouette de naïade nymphée,
comme une sirène enchantant la rive de son corps charmant.


Un chat matelot s’approche à son tour d’elle, à pas feutrés.
Les pupilles fines face aux rayons du soleil, il ronronne
puis frôle la main abandonnée auprès de la cuisse.


Au second passage de l’animal, elle laisse ses doigts caresser l’ondulant pelage.


Sur le dos, Béa sourit sans le voir puis appelle :
— Ti Roi minou, miaule-t-elle.


Le chat glisse le long du bras jusqu’au visage qu’il observe attentivement,
interrogeant la bouche pulpeuse de ses yeux de sphinx.
Il lui répond par un feulement soupiré.


La princesse incline la tête de côté et pose sur lui un regard amadoué.


— Que racontes-tu aujourd’hui ? demande-t-elle gentiment.
As-tu fait de beaux rêves, affalé sur le lit de ma dame au miroir ?
Ton âme, bel amant, s’ouvre sur le secret de sa chambre amoureuse.2

Le félin écoute de ses grandes oreilles, vautré nonchalamment
sur le ventre de la vierge qui joue des mains sur sa fourrure immaculée.

Le soleil à l'horizon effeuille ses dernières lueurs spectrales incandescentes
sur la mer et dans le ciel ; les nuages et les flots s'en habillent,
les mêlant à leurs textures en lignes et en dessins.

La conscience du chat matelot se noie dans des visions de voyage,
et se recouvre du voile étoilé que le firmament commence à tisser. 3

— Bel amant, répète Béatibo qui somnole, les paupières papillonnant
de plus en plus fatiguées sur le soleil quasiment couché.

La pleine lune observe de son oeil énorme la femme endormie sur la plage.
Les vaguelettes roulent l’ombre et la lumière jusqu’à s’étirer,
phosphorescentes et bruissantes vers son corps.
La marée monte en rythme, lente.
Elle se laisse bercer. 4


Au détour de l'anse, l'alizé souffle soudain plus fort,
apportant à vue de nez une odeur de fumée et de brûlé.

Parfum senteur qui ne trouble nullement la demoiselle assoupie.

Mais c'est le cri de la chouette qui éveille alors son sommeil.
Long, aigu, chanté, ensorcelé.

Elle ouvre les yeux au-dessous des étoiles, la lune dans un coin du ciel,
bijou de nacre caressant, tel un diamant, sa peau câline. 5

Elle se relève, sur ses gardes, la peur au bord des nerfs.
Que se passe-t-il ?

La rumeur arboricole des environs réagit aussi et se tait.
Le cri du chat huant retentit, résonne et s’évanouit.
Silence.

Juste un instant, éternité contenue dans son temps,
puis la parole de la jungle se fait de nouveau entendre.
Sauvage.

Et la jeune fille intriguée, s'avance vers la forêt, y pénètre pour voir, tentée.

— Là, ce doit être tout droit, se dit-elle les tout premiers pas.

Suivant une trace sur le sol, elle devine dans la végétation luxuriante,
à un étage plus élevé sous la canopée, dans la pénombre,
le battement d'ailes du rapace qui passe.

Elle explore la piste, saute au-dessus des contreforts d'acomats-boucans géants,
des lianes lui barrent le passage mais n’empêchent pas sa progression,
ses cheveux libres dans le vent déjouent même les pièges. 6

Et tout à coup, derrière une gigantesque feuille verte, elle se retrouve
face à un bloc de pierre gravé de glyphes archaïques.

Sur le sommet en plate-forme le chat matelot gît sur le côté,
les yeux sombres écarquillés, le flanc droit déchiqueté,
les entrailles toutes déballées dessinant l'augure.

Manifestement funeste pour lui, quelque peu déroutant pour elle.

Atterrée, elle s'effondre au pied du sacrifice et verse des larmes sans parole.

Puis elle se remet debout, endeuillée, se penche sur la roche pour recueillir la bête innocente.
Le corps au linceul de fourrure dans une main, les viscères en sang dans une autre,
elle serre l’animal contre sa poitrine et rebrousse chemin vers la plage.

Là, elle l’enterre, dépose une conque dessus et prie :
— Promesse, ô mon beau, la mer t’emportera sur ses flots.
Et le vent du large m'apportera ton chant miaulé de voyage.
Dernière escale pour la vie, vers l'horizon de la nuit et du jour.
A toi Ti Roi minou, adieu.

Et Béati’bo, à genoux, un peu veuve, bascule la tête en arrière dans les étoiles,
l'éclat humide de ses yeux absorbe l'encre et la lune du firmament, tels
deux perles de cristal opaque constellant la mort du chat matelot.

Elle s'allonge enfin sur le sable blanc, la petite tombe improvisée juste à ses côtés.
Le coquillage lui instille à l’oreille le murmure ineffable des vagues.
La princesse s’assoupit doucement et s’endort ainsi.
Et dans son rêve, le soleil se lève... 




k 2000


 NOTA BENE 

mise à jour 23 07 21

• 1  gommier : pirogue traditionnelle de la Mer des Caraïbes.

« Au pays parfumé que le soleil caresse,
J’ai connu, sous un dais d’arbres tout empourprés
Et de palmiers d’où pleut sur les yeux la paresse,
Une dame créole aux charmes ignorés.»

C. BAUDELAIRE, Les Fleurs du Mal, A une dame créole, 1857.

   sirène sur mon île

L'Amour repose dans une vague palpitante, enveloppée qu'elle est, dit-on, de l'écume des jours. Au jour du naufrage cette belle princesse salée s'échoue sur le sable fin et par la suite, s'enfuit le long de la plage cardiaque qu'elle apercevait autrefois de si loin. Le coeur, son marin, doucement fou et heureux se plaît à vivre ainsi, sur terre ferme tout en restant pourtant volage sur l'eau, mais son premier désir d'autrefois, le seul qui lui reste à jouir - voeu envoyé dans une bouteille à la mer, S.O.S d'un naufrage amoureux et solitaire - est de devenir une aile d'albatros, colombe ou phénix qui lui permette de voler l'aile à l'âme soeur pour toujours.
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• 2   « Viens, mon beau chat, sur mon cœur amoureux ;
Retiens les griffes de ta patte,
Et laisse-moi plonger dans tes beaux yeux,
Mêlés de métal et d’agate.
Lorsque mes doigts caressent à loisir
Ta tête et ton dos élastique,
Et que ma main s’enivre du plaisir
De palper ton corps électrique,
Je vois ma femme en esprit. Son regard,
Comme le tien, aimable bête,
Profond et froid, coupe et fend comme un dard,
Et, des pieds jusqu’à la tête,
Un air subtil, un dangereux parfum,
Nagent autour de son corps brun.»

C. BAUDELAIRE, Les Fleurs du Mal, Le chat, 1857.

Une fleur diamantine déposée sur son visage,
lui-même parsemé de pétales en larmes.
Une plage du Paradis abandonnée par Eve en guise de lèvres,
au temps où cette dernière se prélassait sous les arbres fruitiers et le soleil vermeil.
Un chat noir sur une chaise de paille.
Elle, sous ses draps immaculés, endormie, ses cheveux reposent sur ses épaules nues et sur l'oreiller jaloux.
Dors mon amour.
J'attends dans la chambre en silence, debout, près de la fenêtre,
regard en ville et sur l'aurore, sur ton corps aussi, assoupit et en paix.
La cigarette en bouche, la fumée part et semée dans les airs,
je t'aime...

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• 3   « Ils prennent en songeant les nobles attitudes
Des grands sphinx allongés au fond des solitudes,
Qui semblent s’endormir dans un rêve sans fin ;
Leurs reins féconds sont pleins d’étincelles magiques,
Et des parcelles d’or, ainsi qu’un sable fin,
Etoilent vaguement leurs prunelles mystiques.»

C. BAUDELAIRE, Les Fleurs du Mal, Les chats, 1857.

Partir bien au-delà du ciel, dans une autre galaxie virtuelle, au sein d'un linceul, d'une voile féline et ronronnée.
Avec pour phare ses yeux de sphinx qui percent le silence et la nuit éternelle.
Accrocher les étoiles tombées à mes pieds et souffler sur quelques pierres blanches de l'espace, leur donner flamme, les embraser pour qu'elles brûlent et brillent enfin de cette chaleur, cette lumière donnée pour étincelles - en couple harmonieux - sur ce visage chatoyant et sage.
Cet union, ce mariage qui d'un seul et même mouvement regarde les nuages passer à vitesse réglable, qui contemple le réel paradis et son parfum vierge.
Parfum qui apparaît et qui ondule au rythme d'une lueur de bougie funèbre.
Celle sur le chevet marbré et immuable - seul décor- du mourant qui, les yeux ébahis, presque éteints, fixe avec solitude le ciel immense qui s'ouvre à lui.
Les anges l'appellent et lui retirent les larmes rosées sur son visage creusé et gravé, pour les servir dans une coupe de cristal étoile.
Graal, offrande d'une étoile à une autre, d'un oeil vers l'autre.
Quête.

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• 4  « Ce soir, la lune rêve avec plus de paresse ;
Ainsi qu’une beauté, sur de nombreux coussins,
Qui d’une main distraite et légère caresse
Avant de s’endormir le contour de ses seins…»

C. BAUDELAIRE, Les Fleurs du Mal, Tristesses de la lune, 1857.
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• 5   Murmures de la nuit, silence qui déferle par vagues infinies
et qui s'échoue sur la plage immense et déserte de nos esprits.
Mouvements plats et ridés comme la mer au coucher.
Les yeux fermés ou ouverts, couché sur le sol de duvet ou de sable,
c'est l'immensité qui s'ouvre, toujours la même, mystérieuse et rêveuse.
Et dans ces cieux voguent des lumières fines folles ou fanées.
Le Temps semble s'arrêter pour devenir pendant tout un sommeil
le Temps des Rêves.


Au creux de la vague, celle-là même qui se promène le long du rivage de mon esprit,
une sirène dort et repose depuis...
Et dans un temps, le Temps des Rêves, la vague a déposé la naïade sur ma plage déserte. Je l'ai ramassée en passant, coquillage nacré de chair fraîche et l'ai portée dans mes bras. Alors ses cheveux, ce ruisseau où le soleil se plonge le matin m'ont enveloppé et m'a noyé.
J'ai vu ses yeux, derrière les paupières humides et à peine écloses,
tenir pour trésor en leur sein une paire de perles pures.
Peut-être par vertige et par ivresse, mal de mer amoureux,
je suis tombé de plein fouet dans cet abîme délicieux et capricieux,
n'ayant pour seul phare qu'une lumière douce et joyeuse qui embrasait au loin l'horizon.
Oh qu'elle était belle la petite fille !

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• 6   • 6. acomat boucan : arbre antillais dont le bois est utilisé pour la menuiserie et la construction naval, et dont les grosses racines en forme de contreforts lui permettent de ne pas être déraciné pendant les tempêtes tropicales. :::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::::
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