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 _ L'expérience interdite _ père joseph-marie verlinde 


« Le vent souffle où il veut et tu entends sa voix, mais tu ne sais ni d'où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l'Esprit.» Jn 3.8

« Le yoga s'affirme comme un art rigoureux de libération spirituelle individuelle, conduisant à la jouissance de l'Absolu dans l'expérience du samadhi [totale fixation de l'esprit sur l'objet contemplé, conduisant à une enstase du sujet et de l'objet, avec ou sans différenciation]. Il s'enracine dans une conception anthropologique selon laquelle la dimension spirituelle de notre être, le purusha [pur esprit, doté d'une conscience mais totalement passif, ne pouvant rien produire, il est pure contemplation et n'est pas affecté par les vicissitudes de la matière dans laquelle il est engagé], est prisonnière du monde de l'expérience empirique, prakriti [la nature dans sa matérialité, force active et efficace, mais sans conscience ni finalité. 3 forces de développement (gunas) sont actives en elle : le sattva, facteur lumineux et paisible, le rajas, facteur énergétique et passionnel, le tamas, facteur ténébreux et lourd. Au commencement d'une nouvelle période du monde, du mouvement de ces 3 forces naissent les 24 éléments fondamentaux comme composants matériels du monde, parmi lesquels la raison, la conscience de soi et la perception sensible. p250], monde changeant, instable et finalement décevant. Aussi la confusion de ces deux niveaux sera-t-elle la cause de toutes nos souffrances. Le yoga a dès lors pour visée essentielle de dégager, en nous, l'être spirituel des éléments de la nature matérielle et de le restituer ainsi à son isolement et à sa pureté originels.» p46

« Dans la conception taoïste... la matière fondamentale de l'univers est une énergie subtile primordiale : le Dao [ou Tao, l'Inconditionné, l'Origine absolue, l'Existant par soi qui englobe tout et constitue le fondement ultime de toute chose, l'intime de chaque être et leur fond commun, non-manifesté, insaisissable et ineffable]. Celle-ci se différencie à l'intérieur d'elle-même en deux polarités complémentaires : Yin et Yang [contraste de l'ombre et de la lumière qui manifestent dans leur interaction la créativité du Souffle (le qi)], qui engendrent tous les êtres par leurs mouvements et leurs transformations. Les maladies sont des dérèglements de l'équilibre du yin et du yang internes du sujet mais aussi de l'équilibre yin yang du sujet par rapport à l'externe cosmique. Les grands acupuncteurs chinois se considèrent comme des régulateurs des échanges d'énergie entre l'individu et l'univers. L'homme est selon eux, rattaché à la terre par l'alimentation ; il est rattaché au "ciel" par les 12 méridiens portant les noms des 12 énergies célestes et par les 360 points d'acupuncture qui correspondent aux 360 jours célestes qui séparent les deux solstices. De façon analogue, le yoga nous enseigne que l'Energie divine se présente sous deux formes complémentaires : shakti, expression de l'énergie matricielle féminine, et shiva, expression de l'énergie créatrice masculine. La pluralité des êtres jaillit de la "tension" entre des deux polarités.» p50

transcendance immanente
Les nadis hindous : canaux comparables aux méridiens chinois ( nad signifiant mouvement ) où circule les énergies vitales ou pranas dans tout l'organisme. 2 nadis majeurs : ida à gauche et pingala à droite, autour de sushumna situé dans la colonne vertébrale. Au croisement des 2 nadis, les chakras. Le nadi pingala transporte l'énergie descendante, solaire, associé à shiva. Le nadi ida transporte l'énergie ascendante, lunaire, associé à shakti. Dans le hatha yoga (ha, soleil et tha, lune), travail sur ses nadis et jonctions des deux astres, avec élévation de l'énergie terrestre par la base de la colonne vertébrale, jusqu'au sommet du crâne, à la rencontre de l'énergie céleste. Le contact et la neutralisation de ces deux énergies fait s'évanouir l'illusion du "je" substantiel appartenant à prakriti et restaure l'unité originelle du purusha divin.
« Dans l'homme, la shakti est dénommée kundalini ; elle désigne donc l'énergie terrestre que l'adepte tente de faire monter par les nadis (en l'occurence sushumna) à la rencontre de shiva.» p52
« Kundalini est représentée également par un feu qui consume tout ce qui obstrue son passage dans sushumna et vitalise les 5 chakras se trouvant le long de l'épine dorsale ainsi que les 2 centres de la tête, provoquant ainsi au terme de son élévation, l'expérience de la dissolution de la conscience.» p54

Les siddhis : « ensemble de pouvoirs sur la matière, le temps, l'espace dont dispose le yogi à mesure qu'il parvient à activer ses chakras et faire monter la kundalini.» p253
« Patanjali recense 35 siddhis qu'il répartit en 9 grands siddhis supérieurs, 8 pouvoirs médians et 18 pouvoirs mineurs. Parmi les majeurs, citons le pouvoir de revêtir une forme infime, de devenir aussi léger qu'une plume (lévitation) ou d'accroître à volonté son poids, de se rendre présent à n'importe quelle endroit (bilocation), de devenir invisible, d'entrer dans le corps d'un autre, de matérialiser des objets. Chacun de ces siddhis est à mettre en rapport avec un chakra particulier. Ainsi, le pouvoir de lévitation est lié à l'ouverture du chakra coccygien, la capacité de marcher sur des braises ardentes implique l'ouverture du centre solaire, la lecture dans les pensées des autres et l'action à distance sont liées à l'activité du chakra cardiaque, la connaissance du passé et du futur au centre laryngé, la clairvoyance au centre frontal...» p56
Selon Patanjali, ces pouvoirs seraient des obstacles à la prise de conscience supérieure et ne s'utiliseraint en tant que pouvoirs magiques que dans les mondes objectifs. Les siddhis ne se situent pas au niveau physique. « Pour le yoga tantrique, l'homme est pourvu de « gaines » (koshas), de « véhicules », ou si l'on préfère la terminologie ésotérique de corps plus « subtils » que le corps physique. L'ouverture d'un chakra signifierait l'accès à un de ces corps subtils, sortes de « doubles énergétiques » du corps physique. Il y aurait donc un certain nombre de corps... Les siddhis seraient obtenus par la maîtrise de l'agir au niveau de ces enveloppes. Cependant, comme à chaque plan correspond un état de conscience qui maintient celui qui exerce les siddhis dans l'illusion du « je » personnel, les vrais Maîtres spirituels mettent sévèrement en garde leurs disciples contre l'exercice de ces pouvoirs, qui constituent de redoutables obstacles dans le cheminement vers la « délivrance ». Ramakrisha invitait à éviter les siddhis comme on évite la boue, car celui qui fixe sur eux son esprit y restera enlisé.» p57

« Pour le tantrisme, la kundalini est avant tout l'énergie sexuelle. Entendez : l'énergie occulte responsable du dynamisme vital de la génitalité. La fonction des chakras serait de faire circuler cette énergie entre les différents corps subtils. Mais cette dynamique sexuelle n'est pas sans danger... Une montée brutale de la kundalini, provoquée par une pratique non contrôlée des techniques du yoga, peut entraîner des problèmes physiologiques graves ou des problèmes mentaux parfois irréversibles... et la possibilité d'être « infesté » par des « entités spirituelles » inférieures, qui profiteraient de l'état de médiumnité induit par l'ouverture des chakras, pour agir sur les corps subtils éveillés de façon incontrôlée.» p58

Postures et exercices respiratoires : « Les postures corporelles mettent en oeuvre des torsions de la colonne vertébrale au niveau des chakras, visant à les activer. Ells s'accompagnent de pressions sur la base de la colonne pour provoquer la montée de la kundalini. Les exercices respiratoires, pranayama, agissent sur le prana, dont ils dynamisent la circulation dans les nadis. Il s'agit d'arriver à la discipline (ayama) du souffle (prana), c'est-à-dire au contrôle du rythme respiratoire, qui d'irrégulier doit devenir stable pour pouvoir jouer pleinement son rôle vivificateur. Des techniques particulières permettent de ralentir progressivement ce rythme en espaçant l'inspiration et l'expiration. La retenue du souffle (khumbaka), laisse au prana le temps de descendre jusqu'à la base de la colonne vertébrale, où il va réveiller la kundalini... D'autres exercices respiratoires plus violents conduisent d'abord à des états d'hyper-ventilation. Leur interruption brutale favorise la suspension de la respiration, provoquant une sorte de vide intérieur qui « aspire » la kundalini vers la haut. Je rappelle que l'expérience de samadhi ne s'obtient qu'en état d'hypo-ventilation extrême, ou de quasi non-respiration.» p59

« La répétition du mantra ou la concentration visuelle sur la couleur correspondante provoquent un phénomène de résonance qui dynamise le chakra visé. La qualité du mantra se vérifie à sa capacité à susciter ainsi la montée de la kundalini à travers les chakras activés. » p60

« Dire que cet Absolu doit être transcendant, ne signifie cependant pas nécessairement qu'Il soit « Autre » : peut-être est-il la Cause première « hyper-personnelle », source de mon existence personnelle ? Mais peut-être est-il le Fond impersonnel de ma propre existence, en amont de mon individuation. » 69

« Il me semble que le point de départ de tout cheminement mystique ne peut être qu'un acte de rupture avec la dispersion et donc un retour sur soi, une concetration en soi.» p69

2 formes de mystiques :
- mystique d'immanence ou mystique naturelle, la voie qui cherche l'Absolu tout au fond de son propre être naturel.
- mystique de la Transcendance ou surnaturelle, celle qui attend d'un Autre - qui est aussi d'une autre nature, supérieure - l'accomplissement de son désir.« ... les deux mystiques divergent. La voie de l'immanence conduit à un esseulemnt toujours plus radical, aboutissant à l'expérience de l'enstase dans le Soi impersonnel, qui ne peut être que solitude absolue au-delà de toute dualité. Le gourou peut bien indiquer la direction, l'adepte marche seul ; il avance à la mesure de ses propres forces et ne peut compter que sur lui-même. Tous les moyens sont bons, qu'ils soient physiques, psychiques, voire chimiques, pourvu qu'ils respectent la finalité de la démarche : à savoir le dépassement de l'individualité illusoire. Le chemin de la mystique transcendante, lui, oriente vers un Dieu personnel, en vue d'une renconttre qui s'épanouit dans une communion d'amour respectant l'altérité. Bien sûr il faut se mettre en marche, ce qui implique un renoncement et même un arrachement aux faux « moi» qui masquent le véritable « je », aux égoismes qui empêchent toute authentique rencontre, mais l'ascèse n'est que préparatoire ; elle ne saurait donner par elle-même l'expérience désirée, puisque celle-ci implique le jeu de deux libertés et dépend plus particulièrement d'une initiative divine, Dieu seul pouvant franchir la distance qui nous sépare de lui. Le mystique, ici, ne maîtrise plus ni le chemin ni l'expérience : c'est Dieu lui-même qui le conduit en l'attirant à lui, et c'est encore son Seigneur qui au moment de la rencontre, le « ravit » dans un mouvement d'extase, c'est-à-dire de sortie de soi vers Dieu. » p76-77

Pour Bouddha le désir est un feu qui fait souffrir inutilement en entretenant l'illusion de l'individualité ; pour le christianisme, le désir est le sceau dans le coeur du Dieu Trinitaire, qui est essentiellement réciprocité de désir. Eternellement le Père engendre le Fils qu'Il désire et le Fils reflue vers sa Source dans un élan de désir réciproque. Cette complaisance mutuelle impliquant dans son acte toute la substance divine, est elle-même une Personne divine : l'Esprit Saint. Les trois Personnes divines se présentent au sein de l'unique Substance divine comme des relations subsistantes d'amour. Cet amour réciproque porte les Personnes les unes vers les autres dans une extase de désir qui trouve son accomplissement dans la Béatitude de l'éternelle étreinte appelée cirrcumincession ( l'interpénétration de trois personnes en une, la Sainte Trinité). Nous sommes loin de l'Etre Suprême indéterminée ou de la vacuité absolue.» p186 Selon saint Thomas, saint Bernard, saint Anselme : l'homme est créé capax Dei, capable de Dieu« Telle est la destinée de l'homme, la raison de sa création : Dieu le pose dans l'être par une Parole d'amour, qui est conjointement un appel à une communion de Vie. C'est le désir de Dieu de partager sa Vie « en dehors » de lui-même qui le pousse à créer et c'est ce désir qui éveille l'homme à la conscience personnelle. Il est ce « tu » qu'un mystérieux « Je » divin désire et appelle, éveillant dans sa créature le désir réciproque de la rencontre et de la communion d'amour.» p188

transcendance immanente
« L'homme est un être de désir, mais d'un désir immense, infini, que Dieu seul peut combler. Dieu est pour lui le Bien suprême, sa finalité ultime. Dès lors, le mal fondamental c'est d'être privé de ce Bien, c'est-à-dire d'être séparé de Dieu. C'est pourquoi toute la ruse du serpent sera de tenter d'introduire le doute dans le coeur de l'homme... Or, dès que l'homme s'est ainsi détourné de Celui en qui se focalisait et s'unifiait son désir, celui-ci s'est trouvé totalement désorienté et dispersé. Les multiples désirs qui convergeaient harmonieusement en Dieu se sont éparpillés en tout sens, revendiquant chacun leur droit et déchirant le coeur de l'homme entre une multitude de fins partielles, toutes plus décevantes les unes que les autres. Les chapitres 3 à 11 de la Genèse décrivent comment les désirs dévoyés font se dresser l'homme contre la femme, l'homme contre son frère, les nations contre les nations. Lorsque l'homme ne reconnaît plus Dieu comme son Père, la Source et la Fin de son existence, Celui qui donne sens à sa vie, il devient incapable de reconnaître les autres pour ses frères. La défiance envers Dieu conduit à la défiance envers le prochain.» p190-191

La jouissance, fruit d'un désir comblé : La jouissance accompagne la réalisation d'un acte conforme à la nature. Elle est repos dans l'union à l'objet aimé et désiré... la jouissance ne saurait être une fin en soi... Le problème n'est pas du côité de la jouissance, mais de notre attachement à cette jouissance. L'ascète consiste à garder une juste mesure dans les jouissances légitimes, afin qu'elles demeurent des moyens et ne s'érigent pas en fins idolâtres.» p194-195

La Croix, lieu de l'exaltation du désir, de son accomplissement : paradoxe de la victoire de la vie sur la mort, même si l'accès à cette Vie nouvelle passe par la mort. C'est pourquoi nous avons besoin du don de la foi pour oser nous aventurer sur ce chemin... Mais pour le croyant, la Croix glorieuse - c'est-à-dire illuminée par la résurrection du Christ - est effectivement le lieu où s'accomplit enfin le désir le plus fou, mais aussi le plus fondamental de l'homme : être uni à Dieu pour toujours, dans une étreinte d'amour que même la mort ne pourra plus distendre.» p206

« Dans l'hindouisme, le terme le plus fréquent pour parler de la réincarnation est le samsara, c'est-à-dire le flot incessant des naissances et des morts qui entraîne tous les êtres vivants, depuis les formes les plus humbles de la vie (insecte, animal) jusqu'au plus hautes, celles dont jouissent les dieux. Le fait de la transmigration est présenté comme inéluctable, mais la modalité de chacune des existences successives dépend des actions posées par l'individu dans sa vie antérieure. Le moteur du samsara est en effet le karma, dont nous avions dit qu'il représente l'énergie vitale produite par nos actes volontaires. Si ceux-ci sont teintés d'égocentrisme, ils entretiennent la soif d'existence de l'individu. Cette énergie vitale n'est pas annihilée par la mort et va provoquer une retombée dans une nouvelle existence. Les fruits, positifs ou négatifs d'une existence individuelle, sont ainsi transmis selon la loi du karma, à un individu d'une génération postérieure. Cet apport détermine les conditions de son agir (capacités physiques, psychiques, talents, circonstance de la vie, classe sociale...) mais il sera nécessairement amené à transformer en bien ou en mal cet héritage selon ses propres choix libres.» p214-215


Père J-M. VERLINDE, L'expérience interdite, saint paul, 1998.




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A propos du livre et de l'auteur :

La quête de sens peut conduire le pèlerin à faire le "grand saut" du non retour. Jacques Verlinde a vécu ce passage: initié aux pratiques ascétiques orientales (yoga, Méditation Transcendentale), il poursuit aux Indes l'approfondissement de la philosophie religieuse hindouiste et bouddhiste. Mais l'expérience de l'anéantissement du "je" personnel dans un Soi impersonnel suscite en lui des questions fondamentales : que signifie un bonheur qui se vit seul et qui ne s'ouvre pas sur l'Autre ? Que reste-t-il de l'amour lorsque l'amant et l'aimé se sont confondus dans une vacuité sans visage et sans nom ? Pour l'auteur, cette expérience au coeur des mystiques orientales est "interdite", parce qu'elle ne laisse plus de place à l'inter-dit c'est-à-dire à la Parole qui marque l'altérité et que Dieu offre comme lieu de la rencontre. Avec un réel souci pédagogique, à l'appui d'une solide réflexion anthropologique et théologique, il avertit les "chercheurs de sens" qui s'engagent sur les voies de l'Orient et éclaire sur les vrais enjeux du yoga, qui va bien au-delà d'une méthode de relaxation. Voici une importante contribution à la réflexion sur les religiosités contemporaines.

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père verlinde l'expérience interdite


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