_Bhagavat_

VIII . Les kinnaras chantent


LES KINNARAS

I

Il était en principe, unique et virtuel,

Sans forme et contenant l'univers éternel.

Rien n'était hors de lui, l'Abstraction suprême.

Il regardait sans voir et s'ignorait soi-même.

Et, soudain, tu jaillis et tu l'enveloppas,

Toi, la Source infinie et de ce qui n'est pas

Et des choses qui sont toi par qui tout s'oublie,

Meurt, renaît, disparaît, souffre et se multiplie,

Mâyâ ! qui, dans ton sein invisible et béant,

Contiens l'homme et les Dieux, la vie et le néant.




II

La Terre était tombée au profond de l'abîme,

Et les Richis jetaient une plainte unanime ;

Mais Bhagavat, semblable au lion irrité,

Rugit dans la hauteur du ciel épouvanté.

Le divin Sanglier, mâle du sacrifice,

L'oeil rouge, et secouant son poil qui se hérisse,

Tel qu'un noir tourbillon, un souffle impétueux,

Traversant d'un seul bond les airs tumultueux,

Favorable aux Richis dont la voix le supplie,

Suivait à l'odorat la Terre ensevelie.

Il plongea sans tarder au fond des grandes Eaux ;

Et l'Océan souffrit alors d'étranges maux,

Et, les flancs tout meurtris de la chute sacrée,

Etendit les longs bras de l'onde déchirée,

Poussant une clameur douloureuse et disant

- Seigneur ! prends en pitié l'abîme agonisant ! -

Mais Bhagavat nageait sous les flots sans rivages.

Il vit, dans l'algue verte et les limons sauvages,

La Terre qui gisait et palpitait encor ;

Et, transfixant du bout de ses défenses d'or

L'Univers échoué dans l'étendue humide,

Il remonta, couvert d'une écume splendide.



III

Quand, sur la nue assis, noir de colère, lndra (+)

Amassera la pluie et la déchaînera

Pour engloutir le monde et venger son offense,

Le jeune Bhagavat, dans la fleur de l'enfance,

Qui, sous Ies açokas cherchant de frais abris,

Joûra la rosée avec les colibris,

Voulant sauver la Terre encore féconde et belle,

Soutiendra d'un seul doigt, comme une large ombrelle,

Sous les torrents du ciel qui rugiront en vain,

Durant sept jours entiers, l'Himalaya divin !



IV

Le chef des Eléphants, brûlé par la lumière,

Vers midi se baignait dans la fraîche rivière,

Et, tout murmurant d'aise et lavé d'un flot pur,

Respirait des lotus les calices d'azur.

Un crocodile noir, troublant sa quiétude,

Le saisit tout à coup par son pied lourd et rude,

- Seigneur ! dit l'Eléphant plein de crainte, entends-moi !

Seigneur des âmes, viens ! Je vais mourir sans toi. -

Bhagavat l'entendit, et d'un effort facile

Brisa comme un roseau les dents du crocodile.



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ligne de basse