tambour tam tam mains d'argile



 _Ti Jean L'Horizon_ Simone Schwarz-Bart 


« Au commencement, lorsque le soleil n'avait pas encore été lâché,

et que la nuit courait toute seule dans le ciel, Dawa prit son tambour et le battit

doucement, doucement avec des doigts aussi légers qu'un rayon de lune.

Se détachant des arbres, des feuilles vinrent à lui de toutes les régions

de la terre, charmées par le divin batteur.

Et voici qu'elles devenaient un homme et une femme,

un homme qui était une femme et une femme qui était un homme,

tous deux unis ensemble, l'un dans l'autre, l'un avec l'autre

dans le même sac de nerf et de peau.

Mais à peine reçurent-ils la vie,

l'homme dans la femme et la femme dans l'homme,

que chacun voulut marcher dans une direction différente ;

et comme ils chutaient lourdement à terre,

envoyant leurs bras, leurs jambes en tout sens, de leur bouche unique

sortit le chant suivant :



Yéyé, oh la yéyé

L'homme à gauche, la femme à droite

Yéyé, oh la yéyé

L'homme c'est l'homme

La femme c'est la femme

Chacun à la maison, chacun chez soi



Alors Dawa fut pris d'une grande colère et il dit en son coeur :

ah, petit homme sans vergogne, ah, petite femme sans vergogne.

Et il souffla, souffla, et les feuilles se dispersèrent dans tous les coins de la terre,

et chacune de ces feuilles devint un homme et chacune devint une femme,

et ils formèrent des villages tels que nous les connaissons à ce jour,

avec un chef, des lois, et des morts pour faire respecter ces lois ;

puis le soleil et la lune furent lâchés, eux aussi, chacun pour soi dans le ciel...



Telle est l'histoire de la grande colère de Dawa, le divin batteur :

mais nous savons qu'elle ne sera pas éternelle, nous savons que demain

peut-être, aujourd'hui, toutes les feuilles du monde seront à nouveau

assemblées en un seul sac de nerfs et de peau, tel qu'au commencement.

Aussi prenons-nous patience, nous les Anciens, nous qui savons la lune

et les étoiles, et le grand arbre du monde :

patience, patience, dans l'attente que Dawa reprenne son tambour...»




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[ pages 221-222 _ Editions Point _ 1998 ]



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Originaire des Saintes en Guadeloupe, Simone Schwarz-Bart , femme d' André Schwarz-Bart, prix Goncourt en 1959 pour " Le Dernier des Justes" , vit depuis 1938 entre l'Europe, l'Afrique et les Antilles.photo © Catherine Millet

Elle écrit avec son mari " Un plat de porc aux bananes vertes " en 1967, puis seule le best seller " Pluie et Vent sur Télumée Miracle " (1972) qui présente une chronique symbolique du destin de femmes guadeloupéennes dont Télumée, fille d'esclave exploitée qui se révolte et se lance dans une course éperdue à la conquête du bonheur.

Ses autres oeuvres :

- " La mulâtresse Solitude " (1972)

- Un conte philosophique plongeant aux sources de la culture traditionnelle créole, " Ti-Jean l'horizon " (1979)
Elle-même en dit ceci : " On peut lire Ti Jean L'horizon comme une aventure extraordinaire, un conte d'amour, une histoire de sorcellerie, un ouvrage de science-fiction où la Bête jouerait le rôle de machine à remonter le temps : mais c'est aussi une quête de l'identité, un voyage que j'aurais fait au bout de ma nuit antillaise, pour tenter de l'exorciser. Comme mon héros, j'aimerais dire que je ne suis qu'un enfant et le monde un moulin à mystères."

- Une pièce de théâtre sur l'exil et le couple : " Ton beau capitaine " (1987).

" Les choses suivent leur cours, dit-il, elles ne font que suivre leur cours et si la vie finit cette nuit, peut-être qu'elle recommencera demain... car tout peut arriver sur la terre et l'homme n'est qu'un grand vent : il passe, il siffle et disparaît mai qui a disparu ? nul ne le saura jamais..." page 96 in " Ti-Jean l'horizon " (Point Seuil)

* pour en savoir plus sur l'auteur :
http://www.lehman.cuny.edu/ile.en.ile/paroles/schwarz-bart.html


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