_Bhagavat_

III . Pleurs Douleur et crépuscule du soir


Ainsi dans les roseaux se lamentaient les sages ;

Des pleurs trop contenus inondaient leurs visages,

Et le Fleuve gémit en réponse à leurs voix,

Et la nuit formidable enveloppa les bois.

Les oiseaux s'étaient tus, et, sur les rameaux frêles,

Aux nids accoutumés se reployaient leurs ailes.

Seuls, éveillés par l'ombre, en détours indolents,

Les grands pythons rôdaient, dans l'herbe étincelants ;

Les panthères, par bonds musculeux et rapides,

Dans l'épaisseur des bois, chassaient les daims timides ;

Et sur le bord prochain, le tigre, se dressant,

Poussait par intervalle un cri rauque et puissant.

Mais le ciel, dénouant ses larges draperies,

Faisait aux flots dorés unlit de pierreries,

Et la lune, inclinant son urne à l'horizon,

Epanchait ses lueurs d'opale au noir gazon.

Les lotus entrouvraient sur les eaux murmurantes,

Plus larges dans la nuit, leurs coupes transparentes ;

L'arôme des rosiers dans l'air pur dilaté

Retombait plus chargé de molle volupté.

Et mille mouches d'or, d'azur et d'émeraude,

Etoilaient de leurs feux la mousse humide et chaude.

Les Brahmanes pleuraient en proie aux noirs ennuis.

Une plainte est au fond de la rumeur des nuits,

Lamentation large et souffrance inconnue

Qui monte de la terre et roule dans la nue ;

Soupir du globe dans l'éternel chemin,

Mais effacé toujours par le soupir humain.

Sombre douleur de l'homme, ô voix triste et profonde,

Plus forte que les bruits innombrables du monde,

Cri de l'âme, sanglot du coeur supplicié,

Qui t'entend sans frémir d'amour et de pitié ?

Qui ne pleure sur toi, magnanime faiblesse,

Esprit qu'un aiguillon divin excite et blesse,

Qui t'ignores toi-même et ne peux te saisir,

Et sans borner jamais l'impossible désir,

Durant l'humaine nuit qui jamais ne s'achève,

N'embrasses l'Infini qu'en un sublime rêve ?

O douloureux Esprit, dans l'espace emporté,

Altéré de lumière, avide de beauté,

Qui retombes toujours de la hauteur divine

Où tout être vivant cherche son origine,

Et qui gémis, saisi de tristesse et d'effroi,

O conquérant vaincu, qui ne pleure sur toi ?



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ligne de basse