_Bhagavat_

IV . Ganga et les sages parlent


Et les sages pleuraient. Mais la blanche Déesse,

Ganga
, sous l'onde assise, entendit leur détresse.

Dans la grotte de nacre, aux sables d'or semés,

Mille femmes peignaient en anneaux parfumés

Sa vierge chevelure odorante et vermeille ;

Mais aux voix de la rive elle inclina l'oreille,

Et voilée à demi d'un bleuâtre éventail,

Avec ses bracelets de perle et de corail,

Son beau corps diaphane et frais, sa bouche rose

Où le sourire ailé comme un oiseau se pose,

Et ses cheveux divins de nymphéas ornés,

Elle apparut, et vit les sages prosternés.



GANGA

Brahmanes ! qui vivez et priez sur mes rives,

Vous qui d'un oeil pieux contemplez mes eaux vives,

Pourquoi gémir ? Quel est votre tourment cruel ?

Un Brahmane est toujours un roi Spirituel.

Il reçoit au berceau mille dons en partage ;

Aimé des Dieux, il est intelligent et sage ;

Il porte au sacrifice un coeur pur et des mains

Sans tache ; il vit et meurt vénérable aux humains.

Pourquoi gémissez-vous, ô Brahmanes que j'aime ?

Ne possédez-vous pas la science suprême ?

Avez-vous offensé l'essentiel Esprit

Pour n'avoir point prié dans le rite prescrit ?

Confiez-vous en moi : mes paroles sont sûres ;

Je puis tarir vos pleurs et fermer vos blessures,

Et fixer de nouveau, loin du monde agité,

Vos âmes dans le rêve et l'immobilité.

Sur le large Lotus où son corps divin siège,

Ainsi parlait Ganga, blanche comme la neige.



MAITREYA

Salut, Vierge aux beaux yeux, reine des saintes Eaux,

Plus douce que le chant matinal des oiseaux,

Que l'arôme amolli qui des jasmins émane ;

Reçois, belle Ganga, le salut du Brahmane.

Je te dirai le trouble où s'égare mon coeur.

Je me suis enivré d'une ardente liqueur,

Et l'amour, me versant son ivresse funeste,

Dirige mon esprit hors du chemin céleste.

O Vierge, brise en moi les liens de la chair !

O Vierge, guéris-moi du tourment qui m'est cher !



NARADA

Salut, Vierge aux beaux yeux, aux boucles d'or fluide,

Plus fraîche que l'Aurore au diadème humide,

Que les brises du fleuve au fond des bois rêvant ;

Reçois, belle Ganga, mon hommage fervent.

Je te raconterai ma peine encore amère.

Oui, le dernier baiser que me donna ma mère,

Suprême embrassement après de longs adieux,

De larmes de tendresse emplit toujours mes yeux.

Quand vient l'heure fatale et que le jour s'achève,

Cette image renaît et trouble le saint rêve.

O Vierge, efface en moi ce souvenir cruel !

Vierge, guéris-moi de tout amour mortel !



ANGIRA

Salut, Vierge aux beaux yeux, rayonnante de gloire,

Plus blanche que le cygne et que le pur ivoire,

Qui sur ton cou d'albâtre enroules tes cheveux ;

Reçois, belle Ganga, l'offrande de mes voeux.

Mon malheur est plus fort que ta pitié charmante,

O Déesse ! Le doute infini me tourmente.

Pareil au voyageur dans les bois égaré,

Mon coeur dans la nuit sombre erre désespéré.

O Vierge, qui dira ce que je veux connaître :

L'origine et la fin et les formes de l'Etre ?

Sous un rayon de lune, au bord des flots muets,

Tels parlaient tour à tour les sages inquiets.



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